mercredi 29 janvier 2014

En Belgique les Tribunaux de Commerce croient à la médiation...

Ce texte est extrait par moi du site La Libre.be publié le 03-12-2013
Pierre Gerardin





Actualité
Depuis un an à Liège, la médiation bouscule les habitudes des avocats et entreprises. Premier bilan concluant.
Fabienne Bayard, Présidente du Tribunal de Commerce de Liège, était loin d’imaginer que la médiation serait d’une telle efficacité dans les dossiers commerciaux. "Mais on ne peut réaliser la valeur ajoutée de la médiation tant qu’on ne l’a pas vécue…", confie un avocat. "Avec la médiation, on est dans une tout autre logique", explique Fabienne Bayard. "Le processus se fait par et au départ des parties elles-mêmes. Celles-ci se réapproprient leur dossier au lieu de le déléguer aux magistrats et avocats." L’autre particularité de cette "alternative au tribunal", prévue par la loi depuis 2005, est qu’elle vise à trouver la meilleure solution pour l’ensemble des parties. Sans gagnant ni perdant.
Rétablir le dialogue
Dans un contexte litigieux, pour parvenir à une solution "win-win", il s’agit d’abord de rétablir le dialogue. C’est le rôle du médiateur. "Je commence toujours par demander aux parties, et non aux avocats, de s’expliquer", décrit Pierre Henfling, avocat médiateur. "En quelques mots, mon rôle est d’aller chercher les éléments historiques, mais aussi les ressentis qui se trouvent derrière les faits ainsi que les besoins de chacun." Le médiateur, formé, doit impérativement conserver une position neutre. "Le fait d’avoir eu la possibilité de dire ce que je pensais et d’avoir été entendu était pour moi déjà un grand pas vers une solution", témoigne un chef d’entreprise.
Lors de son entrée en fonction, en septembre 2009, la Présidente du Tribunal de Commerce de Liège avait résolument inscrit la médiation dans son plan de gestion. "Mon intérêt pour la médiation prend entre autres ses racines dans une forme de frustration à l’idée que dans un certain nombre de litiges, la solution imposée par le jugement ne va de toute façon pas convenir, et ne va en tout cas pas résoudre le conflit." Sans compter qu’une procédure judiciaire peut être très, très longue.
Argument numéro 1 : la rapidité
Fabienne Bayard a fait le calcul : le temps moyen rien que pour l’échange des conclusions entre avocats est de 318 jours ! Au Tribunal de Commerce de Namur, la Présidente Louise-Marie Henrion ajoute : "Un litige qui dure mine les gens. C’est un processus énergivore dont on n’est absolument pas sûr, de surcroît, du résultat, même si on pense avoir fondamentalement raison." Elle rappelle entre autres qu’un tiers des jugements sont inexécutés partiellement ou totalement.
On l’a compris, le temps gagné est sans doute le premier point fort de la médiation. "Certains problèmes se solutionnent après deux heures de rencontre, d’autres après trois ou quatre rencontres étalées sur deux ou trois mois, soit bien en deçà du temps judiciaire", affirme Fabienne Bayard.
Directement lié à la rapidité, le coût réduit apporte de l’eau au moulin. "La plupart des gens n’ont absolument aucune conscience du coût d’une procédure", note Louise-Marie Henrion. "D’autant que quand ils partent en justice et qu’ils sont en colère, le coût n’a plus aucune incidence sur leur choix."
Le bon moment
Ce qui signifie que le début d’une procédure judiciaire n’est pas forcément le bon moment pour persuader les parties d’aller en médiation. Au Tribunal de Commerce de Liège, un "secrétariat médiation" garde un œil attentif sur les calendriers. "En général, quand quelqu’un introduit une action en justice, il est toujours convaincu qu’il a raison. Puis, quand il reçoit les arguments de la partie défenderesse, il est déjà un peu moins convaincu, puis il répond. Selon nous, c’est alors le bon moment pour convoquer les parties et leur proposer une médiation." Les permanences de médiation commerciale (deux par mois) ont démarré à Liège en septembre 2012. C’est la première expérience menée dans un Tribunal de Commerce wallon. A Namur, une permanence mensuelle est en place au Tribunal de Commerce depuis octobre 2013. Toutes deux sont inspirées du projet mené deux ans plus tôt - mais arrêté depuis lors - à Bruxelles.
"Si je voulais que ça marche, il fallait absolument que j’associe les avocats", raconte Fabienne Bayard, qui a donc lancé le projet avec le barreau. "Les avocats sont effectivement un des premiers freins à la médiation", constatent plusieurs experts. "Par hypothèse, un avocat est fait pour se battre." Or, "médiation" signifie "enterrer la hache de guerre", si bien que pas mal d’avocats sont sceptiques ou craignent de voir les dossiers leur échapper. Ou tout simplement la méconnaissent.
Des relations humaines avant tout
Par ailleurs, en matière commerciale, le lien avec les aspects émotionnels paraît, a priori, moins évident qu’en matière familiale par exemple. "Pourtant, un contrat commercial, ce sont des personnes qui ont décidé de travailler ensemble", insiste Louise-Marie Henrion. Pierre Neuray est juge consulaire et a été directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie à Liège pendant 26 ans. "La médiation aide à maintenir la relation commerciale par le dialogue. En tant que juge consulaire, cela m’a très fort marqué : je constate que souvent, des relations commerciales capotent car les gens se braquent et ne communiquent plus, au lieu de chercher des solutions de bon sens."
Cela dit, la médiation met du temps à s’installer. Pierre Neuray en sait quelque chose. Lorsqu’il était à la CCI, il a déployé énormément d’énergie pour promouvoir la médiation commerciale… pour un résultat de douze médiations en cinq ans. Aujourd’hui, l’expérience menée au Tribunal de Commerce s’avère nettement plus concluante, selon les statistiques de la dernière année judiciaire : sur 547 dossiers fixés pour être plaidés, 210 ont été sélectionnés pour une médiation. Tous ne se prêtent en effet pas à ce mode de résolution. Parmi eux, 57 ont abouti à un accord, soit 25 %. "Cela veut dire que 10 % des dossiers à plaider pourraient se solutionner autrement", se réjouit Fabienne Bayard.
Le changement progressif des mentalités n’est pas tout dans ce succès. "Ce qui fait la différence avec les expériences précédentes, c’est qu’ici, les magistrats s’en mêlent. C’est le juge qui propose la médiation. Le message est donc plus fort vis-à-vis des entreprises et des avocats", constate Pierre Neuray. "Ce projet bouscule l’idée reçue selon laquelle le juge est juste là pour trancher les litiges", conclut Fabienne Bayard. "Or, et c’est inscrit dans le code judiciaire : je rappelle que le juge a dans ses missions celle de concilier les parties, et qu’il peut suggérer la médiation. L’autorité pour l’autorité n’a plus beaucoup de sens. Le juge a un rôle pacificateur à jouer. C’est la seule voie pour arriver à une solution paisible pour les parties."

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